Texte
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PRIX HOST CALL 2)
Juillet 2021
Par Sadie Fletcher
Texte réalisé dans le cadre de l'exposition Host Call 2), Open School Galerie, Nantes (FR)
Œuvres performatives, vidéos, sculptures et photographies, aborder le travail protéiforme de Vincent Tanguy, c’est entrer dans un univers où le numérique occupe une place prépondérante.
À l’occasion de cette exposition l’artiste présente trois œuvres, dont deux témoignent d’actions et d’échanges effectuées à Shanghai (Chine). Lors de The Convenient Life (2019), il s’isole pendant cinq jours dans un atelier collectif de Sowerart Space. Renvoyant à des pratiques autogestionnaires, il se fabrique un white cube à l’aide de son smartphone chinois et 500 yuan, l’équivalent de 60 euros. A l’instar des expériences vidéoludiques lors desquelles un joueur construit sa propre résidence, Vincent Tanguy place des commandes via divers applications pour que ses besoins de base – la faim, l’énergie et le confort – soient satisfaits.
La première action exécutée par l’artiste n’est pas anodine. Il commande un menu McDonalds : artefact symbolique de l’ère capitaliste. À son panier virtuel s’ajoute des matériaux précaires tels un matelas gonflable et du scotch fluorescents, un sac de couchage et de la bâche. Les couleurs vives et génériques des objets achetés, dont les habits - des chaussettes aigues-marines et un t-shirt orangé -, renvoient aux codes et à l’esthétique des Sims. Témoignant des intuitions troublantes de l’artiste qui semble avoir prévu le confinement imposé par la crise sanitaire, l’œuvre remet en question la raison pour laquelle nous nous déplaçons à notre époque bousculée par la plateformisation de l’économie.
À l’image du déconfinement progressif actuel, le corps humain est remis en mouvement avec la vidéo-performance The Wandering (2020). Jouant le citadin se promenant au hasard et sur un rythme lent, l’artiste se fait filmer pendant la nuit. Le cercle lumineux à priori « magique » dont l’artiste se munit est tenu par un matériel du quotidien, une file de pêche. Deux univers se superposent ; d’un côté le burlesque d’un Jacques Tati (1) dont les films anticipent les bouleversements que la France allait connaître, de l’autre celui des jeux vidéo : en filmant à la troisième personne, l’artiste semble placer la manette dans les mains du spectateur qui contrôle sa déambulation. Dans les images en fin de la vidéo, capturées grâce à un drone, le marcheur postmoderne perd son aura (2), sa préservation étant oblitérée par un dédale d’autoroutes et la mégapole tentaculaire aux gratte-ciels, éclairée par les lumières artificielles des néons.
Ce n’est pas la première fois que l’artiste déploie cette dialectique du trouble, de la négociation du réel avec l’artificiel et la fantaisie. Connection Stadium I (2018), un stade composé notamment de claviers, LEDs et d’un écran vert et dépourvu de présence humaine, en est l’illustration. Il n’est pas question de se laisser bercer par la manière ludique dont l’artiste nous confronte à une réalité dans laquelle la technologie façonne le corps humain. Il s’agit bel et bien d’une réalité que l’on touche déjà du doigt.
_____________
(1) Nous pensons notamment à la comédie Jour de fête, sortie en 1947, dans laquelle le grelot du vélo du personnage principal joue un rôle primordial dans la construction des gags
(2) Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000
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PRIX HOST CALL 2)
Juillet 2021
Par Sadie Fletcher
Texte réalisé dans le cadre de l'exposition Host Call 2), Open School Galerie, Nantes (FR)
Œuvres performatives, vidéos, sculptures et photographies, aborder le travail protéiforme de Vincent Tanguy, c’est entrer dans un univers où le numérique occupe une place prépondérante.
À l’occasion de cette exposition l’artiste présente trois œuvres, dont deux témoignent d’actions et d’échanges effectuées à Shanghai (Chine). Lors de The Convenient Life (2019), il s’isole pendant cinq jours dans un atelier collectif de Sowerart Space. Renvoyant à des pratiques autogestionnaires, il se fabrique un white cube à l’aide de son smartphone chinois et 500 yuan, l’équivalent de 60 euros. A l’instar des expériences vidéoludiques lors desquelles un joueur construit sa propre résidence, Vincent Tanguy place des commandes via divers applications pour que ses besoins de base – la faim, l’énergie et le confort – soient satisfaits.
La première action exécutée par l’artiste n’est pas anodine. Il commande un menu McDonalds : artefact symbolique de l’ère capitaliste. À son panier virtuel s’ajoute des matériaux précaires tels un matelas gonflable et du scotch fluorescents, un sac de couchage et de la bâche. Les couleurs vives et génériques des objets achetés, dont les habits - des chaussettes aigues-marines et un t-shirt orangé -, renvoient aux codes et à l’esthétique des Sims. Témoignant des intuitions troublantes de l’artiste qui semble avoir prévu le confinement imposé par la crise sanitaire, l’œuvre remet en question la raison pour laquelle nous nous déplaçons à notre époque bousculée par la plateformisation de l’économie.
À l’image du déconfinement progressif actuel, le corps humain est remis en mouvement avec la vidéo-performance The Wandering (2020). Jouant le citadin se promenant au hasard et sur un rythme lent, l’artiste se fait filmer pendant la nuit. Le cercle lumineux à priori « magique » dont l’artiste se munit est tenu par un matériel du quotidien, une file de pêche. Deux univers se superposent ; d’un côté le burlesque d’un Jacques Tati (1) dont les films anticipent les bouleversements que la France allait connaître, de l’autre celui des jeux vidéo : en filmant à la troisième personne, l’artiste semble placer la manette dans les mains du spectateur qui contrôle sa déambulation. Dans les images en fin de la vidéo, capturées grâce à un drone, le marcheur postmoderne perd son aura (2), sa préservation étant oblitérée par un dédale d’autoroutes et la mégapole tentaculaire aux gratte-ciels, éclairée par les lumières artificielles des néons.
Ce n’est pas la première fois que l’artiste déploie cette dialectique du trouble, de la négociation du réel avec l’artificiel et la fantaisie. Connection Stadium I (2018), un stade composé notamment de claviers, LEDs et d’un écran vert et dépourvu de présence humaine, en est l’illustration. Il n’est pas question de se laisser bercer par la manière ludique dont l’artiste nous confronte à une réalité dans laquelle la technologie façonne le corps humain. Il s’agit bel et bien d’une réalité que l’on touche déjà du doigt.
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(1) Nous pensons notamment à la comédie Jour de fête, sortie en 1947, dans laquelle le grelot du vélo du personnage principal joue un rôle primordial dans la construction des gags
(2) Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000